LEÇON 20 - 31 MAI 2020
Les sens de perception (jñānendriya) dans le yoga.
Complément au sujet de vachik kriyā.
Ceux qui sont sur un chemin spirituel, à l’âge actuel kaliyuga, sont souvent découragés en ce qui concerne le dharma, la vertu, le mérite. Il y a beaucoup de découragement tant l’on pense que ce monde est perverti et que kaliyuga (l’âge de fer ou âge noir) est mauvais. On est tellement occupé par la vie matérielle qu’il reste peu d’espace pour cultiver la vertu ou réaliser des actions vertueuses.
Les anciens, les gens très âgés, ont beaucoup de difficultés à utiliser leur corps comme instrument. Leur corps leur pose de plus en plus de problèmes et par conséquent, ils n’ont plus de moyen de cultiver la vertu, la sagesse. Parfois, le mental est perfide et n’est pas non plus le moyen adéquat d’accomplir des actes vertueux. Par conséquent, ces deux instruments (le corps et le mental) ne nous sont pas d’une grande aide et c’est pour cela que vācha est très utile. Vāchika karma est très bénéfique et propice à dharma et à puṇya (la vertu). Vachik kriyā englobe les chants védiques, la lecture des écritures saintes, des évangiles, des textes philosophiques, des textes adhyatmiques, des védas, des Upaniṣad, de la Bhagavad Gītā, de la Śrīmad-Bhāgavatam. La littérature spirituelle est abondante. Les chants aussi, les kirtans et japa.
Par ailleurs, le processus de la pensée, la réflexion sur la Bhagavad Gītā, les Upaniṣad etc. fait aussi partie de vāchika kriyā. Lire ce type de textes est très différent de lire du courrier ou les journaux. Patañjali parle trois fois de vachik kriyā : dans le premier chapitre, dans le japa sūtra, dans le deuxième chapitre dans le kriyā yoga sūtra et dans le niyama sūtra. Les mantras aussi permettent de cultiver la vertu. A l’aube de kaliyuga, Vyasa a déclaré que le meilleur moyen de le traverser, c’est de réciter "hare nama kevalam". Il assurera le réconfort, la rédemption et nous aidera à observer le dharma. Les mantras de Ramā et Krishna sont très connus. Comme l’a dit un mystique, on peut atteindre la connaissance suprême, à savoir jñāna, simplement en récitant le nom de Rama.
Dans le Mahabharata, cette question est posée à Bhisma : "Quel est le plus grand dharma ?" et Bhisma de répondre : "Réciter les 1000 noms de Viṣṇu est le plus grand dharma." Ces 1000 noms sont un concentré de dharma. Nous négligeons cette source de vertu et de sagesse qu’est vāchik karma au profit de la quête de la perfection du corps et du mental.
Les jñānendriya.
Nous sommes tous très préoccupés par ce qu’il faut faire avec notre corps, notre mental et notre souffle dans "notre" yoga. Qu’en est-il des sens de perception ? Que devons nous faire pour les sens, avec les sens, par les sens ? Il faut différencier activité sensorielle et activité sensuelle. C’est Indriyām kriyā. Les sens sont à la fois bénéficiaires et contributeurs. Les sens de perception disposent d’une ligne directe avec le mental. Ils ont un accès direct au contenu mental et constituent donc un moyen de travailler sur l’état mental. Les sens peuvent créer du plaisir, de la joie ou de la douleur et influencer directement le mental. Il est donc nécessaire de les prendre en compte. Les sens de perception sont très importants au regard de l’état mental, qu’il s’agisse de citta vṛtti ou de mano vṛtti.
Ce sont des instruments extrêmement puissants. Si nous devons travailler sur le mental, nous devons les connaître. Nous les appelons organes cognitifs. Toutefois, ils ne mènent pas toujours à la connaissance : jñāna. La plupart du temps, nous utilisons les sens pour bhoga. Dans le monde matériel, nous en avons fait des bhogendriya. Nous utilisons nos organes moteurs et nos facultés cognitives soit, pour rechercher le plaisir, soit pour éliminer ou fuir la douleur. Nous les appelons jñānendriya, mais nous les utilisons rarement pour la sagesse. Cela dépend de notre tempérament. Nous les utilisons aussi comme "sukhaprāptendriya" (sukha = plaisir, bonheur) pour se protéger des tourments, de la douleur.
Mais dans le yoga, dans la sphère intérieure, ils changent de statut. Les sens travaillent en association. Ils deviennent des organes de sagesse. Prenez l’exemple des yeux ou des oreilles. Lorsqu’ils sont tournés vers l’intérieur, ce ne sont plus des organes visuels ou auditifs dirigés vers des objets extérieurs. Ils ont leurs propres objets : śabda, sparśa, rūpa, rasa et gandha (les cinq tanmātra ou qualités subtiles des cinq éléments). Dans le monde intérieur, les sens ne sont plus des sens de perception en tant que tels, ils transcendent les objets. Alors, ils deviennent des jñānendriya, des "wisdomindriyas" (des organes de sagesse). C’est pourquoi dans la tradition, on les appelle jñānendriya.
Qu’est ce que jñāna ?
En anglais, on considère connaissance VS ignorance. En sanscrit, le terme jñāna est présent partout. Associé à divers préfixes, il a plusieurs nuances. Ajñāna (avec le préfixe privatif "a"), devient ignorance. Mais le terme jñāna est quand même utilisé. Miṭhyā jñāna, l’illusion, la connaissance erronée est une forme de connaissance, même si reconnaît plus tard qu’elle est fausse. (Exemple de la corde que l’on prend pour un serpent). Prajñāna (l’intelligence distinctive – la sagesse lumineuse et expérimentée. Le mot jñāna est présent dans tous ces termes. Même si votre connaissance est insuffisante, vous "savez" qu’il y a quelque chose, même si vous ne "savez pas" ce que c’est. Ce n’est pas de l’ignorance totale. Cette terminologie est intéressante en philosophie : jñāna, vijñāna, ajñāna, miṭhyā jñāna... prajñāna. Notre entité métaphysique puruṣa : "sat cittananda" - c’est ainsi qu’elle est décrite - ne peut pas être privée de la connaissance. Cit signifie connaissance, sat, c’est la vérité, ānanda, la béatitude. Vijñāna est la connaissance des phénomènes qui nous entourent, la connaissance du monde phénoménal. Jñāna est contenu dans ce terme.
Qu’est-ce-que ajñāna ?
C’est croire que vijñāna est la véritable connaissance et la vérité essentielle. Or, ce ne sont que des manifestations de la matière primordiale dans ses différentes formes. Croire que l’ensemble de ces phénomènes représentent la réalité, du point de vue philosophique, c’est ajñāna.
La connaissance de ces phénomènes dans le monde matériel vous sera utile, mais à la fin des fins, c’est de l’ignorance (ajñāna). Croire que le monde phénoménal tel qu’il existe (une fleur, une table, une chaise, une rose…), croire qu’il s’agit là de véritables entités, c’est de l’ignorance et en même temps dans la vie courante, vous êtes bien obligés de croire qu’une table est une table, une chaise est une chaise etc. et que c’est réel. Mais, vous devez avoir à l’esprit que la validité de cette connaissance est limitée. Jñāna est donc partout. Il est partout question de connaissance. On parle donc des jñānendriya qui vont permettre d’accéder à jñāna, à la sagesse, conduiront à ajñāna ou à vijñāna.
Dans le yoga, lorsque l’on pratique, on s’intéresse rarement à la manière d’utiliser ces sens ou de ce que l’on peut faire pour eux. Vous savez quoi faire avec vos membres, avec vos organes, avec la colonne dans vos āsana et votre prāṇāyāma. Vous savez quoi faire pour le mental, peut-être aussi quoi faire pour le souffle. Mais, en ce qui concerne les sens, ils passent à l’arrière plan du mental. Le mental possède des facultés psycho-sensorielles. Si vous souffrez d’un handicap qui touche vos sens, cela n’aura t’il pas un impact sur le mental ? Au contraire, si les sens fonctionnent bien, le mental n’en sera t’il pas affecté de manière positive ? Autant dans les āsana que le prāṇāyāma, il est important de savoir quoi faire avec les sens, comment les utiliser et comment les associer. Dans le kriyā des āsana, on parle de l’action des sens.
Je vais aujourd’hui conclure cette session avec un petit exercice pratique pour que vous fassiez l’expérience de l’action des sens.
Mettez-vous debout en Tādāsana. Regardez devant vous. Créez tous les ajustements depuis les plantes de pieds jusqu’au sommet de la tête. Faites votre posture. C’est ce qu’on appelle l’approche par le corps, créez tous les alignements – c’est votre obsession dans les āsana - soyez alignés, ni en avant, ni en arrière, centrez-vous, installez-vous dans "samasthiti". Faites Tādāsana pour le souffle, faites Tādāsana pour le mental. Je vous ai déjà expliqué ces différentes approches. Voyons maintenant comment le mental peut influer sur notre contenu mental, sur notre état mental. Regardez devant vous. Lorsque vous placez votre regard à la hauteur de vos yeux, les yeux se positionnent d’une certaine manière. Observez les coins externes des yeux. Mettez votre conscience à cet endroit. Si vous voulez, l’extension du coin externe de l’œil, c’est comme pour dessiner une ligne de chaque côté de l’œil. Elargissez ce coin externe de l’œil et voyez l’impact sur le mental. De cette façon, vous avez directement accès à votre mental et à sa condition. En quoi l’extension du coin externe de l’œil, la perception consciente du coin externe de l‘œil contribue à l’équilibre du mental.
Puis, passez à la partie inférieure de l’œil, en dessous de l’œil. Quel est l’effet sur le mental ? Voyez comment les sens ont la capacité de changer votre état mental. Il y a aussi une zone, appelée le coin interne de l’œil. La racine du nez, entre l’œil et le nez. Qu’apporte la perception consciente de cette zone ? Allez maintenant dans les sourcils, au dessus de l’œil et observez votre mental. Ce sont les différents points de l’approche sensorielle par les yeux. Votre champ visuel ne change pas, mais il conditionne votre mental. Comme vous êtes tournés vers l’intérieur, votre point focal ne change pas, vous ne regardez rien en réalité. Les yeux regardent vers l’intérieur et deviennent alors des organes de sagesse. En résumé, concernant les yeux, il y a cinq points : le coin externe de l’œil, le coin interne de l’œil, le dessous, le dessus et le centre de l’œil. Vous pouvez faire la même expérience en Trikoṇāsana ou dans les autres postures debout.
En ce moment, vous m’écoutez, vous m’écoutez avec vos oreilles. Essayez de m’écouter depuis l’arrière de vos oreilles, cela vous rendra davantage méditatif. Si on écoute des bavardages, on écoute par l’avant de l’oreille. Voyez, le geste que l’on fait lorsque l’on n’entend pas bien (on ramène l’oreille vers l’avant avec la main). Pour l’oreille, il y a l’avant, l’arrière, le bas et le haut et aussi le centre de l’oreille. C’est pareil pour les narines. Elles possèdent aussi des zones précises, si vous ne savez pas les différencier, insérez votre index gauche dans le nez… Selon que vous guidez le souffle vers la membrane intérieure ou extérieure, vers le septum, vers la racine ou l’extrémité du nez, votre étal mental va changer.
Je vais maintenant conclure avec un petit exercice pratique.
Comment écoutez-vous lorsque vous écoutez un chant sacré ou lorsque vous écoutez des bavardages ? On peut fermer les yeux, mais pas les oreilles. Même si vous vous bouchez les oreilles, vous entendrez quelque chose. Quand vous entendez des bavardages que vous voulez écouter, comment écoutez-vous ? Lorsque vous entendez des bavardages que vous ne souhaitez pas écouter, comment écoutez-vous ?... Lorsque nous voulons écoutez ou entendre, nous n’écoutons pas de la même façon. Même chose pour les narines, une mauvaise odeur donne envie de se boucher le nez. Sentir une odeur de cuisine ou sentir le parfum d’une rose sont deux choses différentes. Faites ce travail d’observation.
Le toucher. Comment touchez-vous quelque chose qui vous est agréable ou désagréable ?
La plupart du temps, on ne sait pas observer nos sens. En tant qu’étudiants de yoga, nous devons observer. Si vous devez regarder quelque chose que vous ne voulez pas regarder, comment regardez-vous ? Ou bien lorsque vous voulez regarder quelque chose, mais n’en avez pas le droit. Les yeux, les oreilles, le nez vont se comporter différemment. Faites ce travail d’observation, comment utilisez-vous vos sens, dans différentes conditions, agréables, désagréables etc. Je vous en ai donné un avant-goût en Tādāsana. Les sens sculptent, modèlent, influencent le mental. Ils le cultivent et le conditionnent.
Nous approfondirons ce sujet dans la prochaine session. Quel est le rôle, la fonction des indriya ? Que devons nous faire avec ou pour eux. En quoi sont-ils contributeurs ou bénéficiaires ? Émetteurs ou récepteurs ? Nous étudierons l’action des sens.
Remerciements
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